Apprendre à vivre seule.

J’ai quitté le domicile parental depuis presque deux mois. Enfin, si je n’y rentrais pas tous les week-ends, je serais plus crédible, mais j’aurais tout aussi bien pu ne pas le dire. Voilà, je suis trop honnête, ça m’apprendra.

Ma condition en tant que locataire est un peu particulière, puisque mon immeuble, qui s’avère être un ancien hôtel, a été ré-investi par une dizaine d’étudiants comme moi, dans des chambres et mini-studios loués aux prix de ceux d’une Cité Universitaire, par un couple de propriétaires style « papy / mammy ». Ça avait l’air sympa, vu comme ça, du style l’Auberge espagnole, mais sans cuisine et salle de bain communes.

C’était sans compter la polémique qui s’est finalement emparée de mon palier, concernant la jeune fille qui habite à l’autre bout du couloir. C’était également sans compter le double-visage diabolique de mes propriétaires, habilement camouflé derrière des pattes d’oie bienveillantes et une permanente wavy irréprochable ;

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ils n’ont pas résisté à la tentation typique des proprios de faire fleurir sur les murs des mots à notre attention. Le genre de menace pas complètement assumée. Et puis, depuis que j’ai dû déboucher les chiottes, de toute façon, je vous avoue que le délire Auberge espagnole avec WC sur palier n’a plus vraiment la même saveur. Ainsi le mot « merci de laisser ce lieu dans l’état dans lequel vous souhaitez le retrouver » sur la cuvette m’a légèrement exaspérée cette semaine. « Des détails ! Des détails ! », non. Jamais.

Je n’avais pas peur de vivre seule, encore moins dans onze mètres carrés ; qu’est-ce qu’on peut bien casser, salir, perdre, dans une surface de ce genre ? Mais comme on l’aura tous deviné depuis, je suis célibataire, autrement dit, vivre seule dans ces conditions implique de savoir ;

  1. Planter un clou (si mes propriétaires voyaient ça, je serais sur le perron sous la pluie avec mes valises).
  2. Ouvrir une bouteille avec un tire-bouchon complètement pas pratique, à la force du bras.
  3. Sur quel bouton appuyer pour rétablir le courant en cas de panne.
  4. Ne pas paniquer lorsqu’on a le pied coincé dans la botte en faux cuir noir qu’on sait impossible à retirer une fois qu’elle est enfilée.
  5. Savoir escalader intelligemment certains meubles pour pouvoir atteindre des points trop élevés. Et ce même avec un escabeau (oui, j’ai une importante hauteur de plafond, ok?).
Je gère.
Je gère.

Et puis, je dois vous avouer que je ne vis même pas vraiment seule, puisque j’entends mon voisin siffler, parler, marmonner même, et je suppose qu’il m’entend tout aussi bien. L’intimité prend une définition toute nouvelle lorsque tu penses que ton lit est sûrement du même côté du mur que le sien, à quelques centimètres, donc. Un peu plus, et on sent nos haleines du matin.

Parmi les joies des responsabilités que j’ai fraîchement acquises, je dois dire que faire ses courses seul(e) révèle des choses intéressantes ; la première est que l’on perpétue les traditions familiales, consistant à ne pas se résoudre à prendre des sous-marques de Princes, parce que les Princes, c’est « la famille ». La deuxième serait peut-être la gêne universelle mais encore méconnue ressentie lors de l’achat de son pack de six rouleaux de PQ (Première tradition familiale bafouée ; j’ai pris du blanc, alors qu’on a toujours pris du rose. Mais le blanc, on peut le faire passer pour du sopalin, dans la rue). Le choix des repas est aussi symptomatique de certaines traditions familiales ; j’ai, par automatisme, les boîtes de conserve traditionnelles dans le placard. Je veux dire, sans haricots verts, épinards et lentilles, que serait-on dans la vie ?

S’imposer soi-même ses horaires, sans rendre de compte à personne, insulter sa télé, parce que finalement, David Pujadas est la seule personne avec qui l’on communique en mangeant nos éternelles pâtes au jambon, avec ou sans beurre, avec ou sans sel… C’est ça, vouloir jouer les adultes et vivre seule pour la première fois, dans une ville qu’on ne connaît absolument pas.

Heureusement qu’on a des guides de promo.

Et puis y’en a qui font des blogs, à c’qui paraît.