« Tu te vois où dans 5 ans ? »

Y’a tellement de clichés sur le fait d’être heureux qu’on n’ose même plus le conceptualiser, parce que s’aménager du temps pour en lister les raisons, c’est un truc de gens qui n’auraient vraiment rien d’autre à foutre.

Depuis des mois, j’ai conscience d’être complètement heureuse, tous ou presque domaines confondus. Le fait de s’autoriser à le penser, de s’extirper de son propre bonheur pour le constater est peut-être l’indice d’une forme de méfiance : ne nous laissons pas trébucher sur les obstacles jusqu’ici inexistants au bonheur, et prenons de la distance, quitte à se faire trébucher soi-même sur une incertitude injustifiée et déraisonnable. Au moins, on ne pourra s’en prendre qu’à soi-même. Si je sais que je suis heureuse, j’en rationalise les causes et effets, j’intellectualise peut-être un peu aussi l’état, je le sous-pèse, le relativise, bref, je le déforme, à peine, mais je le déforme, du moins je lui retire cette noble existence inconsciente qui sent bon la rose.

Alors quoi, j’arrête de dire que j’ai conscience d’être complètement heureuse depuis des mois, pour la forme, histoire de dire que cet état est naturel, inconscient, et par conséquent plus authentique ? Le mot m’écorche la bouche, les oreilles, bref tous les orifices que vous voudrez.

J’ai parfaitement conscience d’être heureuse de plein de trucs et je décide que le destin ou le karma ne troubleront pas cet état jusqu’ici stationnaire pour le transformer en apocalypse personnelle. Le hasard, soi-même et ce qu’on peut appeler difficilement autrement que le cycle de la vie suffisent déjà à nuancer ce franc bonheur.

Des fois, c’est peut-être même la mort de son grand-père qui, après avoir fracassé l’intérieur du corps et de la tête de haut en bas et de bas en haut, provoque la pulsion de vie, celle proche de la survie tant elle rappelle que, de toute façon, on ne fait que retarder la mort à partir du moment où l’on naît. Être bousillé par le décès d’un proche parent, du premier qui vous ait parlé de philosophie, qui ait lu vos premiers poèmes et qui se soit absenté avant que vous ne puissiez lui adresser votre dernière production, peut provoquer, chimiquement et physiquement, en parallèle, la reconstruction. Souvent, ça passe par le bonheur qu’on pioche là où son grand-père l’avait flairé. L’oeuf sur le plat, le vin rouge, la curiosité, la cosmologie, le jardin, la philosophie, la chair. La famille. Celle qui partage les miettes d’un même deuil avec le même but – s’extraire et extraire les autres du marasme -, mais ne se comprend pas sur la façon de le faire, parce qu’il n’y en a pas vraiment de bonnes. Si tant est qu’il y ait quelque chose à faire, que le « deuil » soit performatif. J’avoue que je comprends pas trop la notion.

sixfeetundertree

Je disais que j’étais heureuse, et après j’ai parlé de la mort. Ca va, je trouve que je suis mesurée.

Ces derniers temps, on se pose souvent la question, avec mes proches : tu te vois où dans x ans ? signifiant souvent : – dans quel secteur professionnel ? – avec quel.l.e conjoint.e ? – dans quelle ville ? – dans quel pays ? – avec des enfants ?

Y’en a pour qui la question est anxiogène. Peut-être parce qu’ils se sentent en partie dépossédés d’un avenir finalement tricoté avec pas mal de hasards, rencontres, choix indéterminés. Peut-être parce que l’avenir est nécessairement une incertitude, et que c’est pas très rassurant, parfois proche de la fatalité dans l’imaginaire.

D’autres pour qui la question est une non question. Ils ont des projets. Parfois datés. Ou bien l’avenir est une incertitude, mais associée de façon quasi systématique à l’idée de progrès – dans le sens optimiste du terme -, du moins jusqu’à un certain point. Rien de bien anxiogène là-dedans.

Alors, à la question « tu te vois où, dans 5 ans ? », j’ai au moins mille réponses, dont mille fantasmatiques. Je peux aussi bien être cultivatrice de céréales ou d’insectes en Provence Alpes Côte d’Azur, serveuse dans un coffee shop au fin fond du Mississippi, avoir perdu un nouvel être cher et mis au monde 1 enfant, ou bien vivre avec 10 chats. La seule question valable serait « tu seras qui, dans 5 ans ? », et à cela on peut difficilement répondre autre chose que « moi, mais en pas pareil ».

Quel rapport avec le bonheur, meuf ?

Y’a tellement de clichés sur le fait d’être heureux qu’on oublie parfois de l’apprécier quand il est là, en se demandant toujours ce qu’on pourrait faire de notre viande 5 ans plus tard.

Il y a quelques temps déjà, quelqu’un m’a dit qu’il vivait au jour le jour, sans trop se projeter dans l’avenir. Il doit trouver la question « tu te vois où, dans 5 ans? » assez déconcertante.

Elle l’est.

Qu’on me demande où je suis maintenant. Que j’emmerde tout le monde avec mon bonheur.

Gros bisous.

la-la-land-emmastone-jpg

Nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n’a pas été retenue. Mais…

Je ne m’explique pas notre besoin pathologique à savoir nos noms inscrits sur des listes. Bon, il y a des listes plus sympas que d’autres, comme celle des prix Nobel ou des collecteurs/expéditeurs de pommes de terre. A échelle estudiantine, les listes d’inscriptions dans un établissement d’enseignement supérieur relèvent de la quête existentielle. C’est bien simple, lorsqu’on est intégré au joyeux circuit administratif universitaire, on se trouve à côtoyer une crainte chaque année, vers avril : s’en trouver évincé, ne plus figurer sur aucune liste, bref, rater ses inscriptions. Nous sommes listés depuis notre naissance et jusqu’à la fin du lycée, sans réellement nous en rendre compte parce que nous suivons encore l’ordre donné comme logique.

C’est après le BAC, lorsqu’il faut choisir la direction que va prendre son avenir professionnel, que la question de la liste vient gentiment fouetter les fesses nues de nos certitudes. Personnellement, la panique des inscriptions s’est déclarée pour la première fois à la fin de la licence. Après avoir préparé mes inscriptions en master avec une avance confortable, j’ai reçu un courriel plutôt désagréable me signalant que j’étais sur liste d’attente. Il fallait attendre septembre pour connaître l’issue finale de ma candidature, tandis qu’on m’assurait, du côté de mes proches, qu’une licence validée mention bien ne devrait pas rencontrer d’obstacles lors de mes inscriptions. Premier retour de bâton : on s’en fout, de ton 15 de moyenne, il y en a de meilleures et tu ne seras acceptée qu’en cas de désistement. Situation plutôt inconfortable, solutionnée fin août après qu’un adorable candidat meilleur que moi ait décidé d’aller ailleurs, certainement vers une meilleure formation avec d’autres meilleurs candidats. Ne nous formalisons pas, rien à foutre, je suis quelque part. Car c’est un peu ça, l’enjeu : notre nom sur la liste symbolise notre appartenance à quelque chose, ici au système universitaire qui, si nous ne cherchons pas plus loin, représente l’une de nos conditions d’existence. Si j’en suis évincée, je n’appartiens plus à rien d’autre qu’à la liste d’adhérents d’une association sportive, d’électeurs, d’abonnés à un réseau mobile ou à la newsletter d’un quelconque média. Il se trouve que la formation universitaire représente une grande partie de ma vie puisqu’elle en influencera l’un des éléments constitutifs, aka la vie active. Or, on sait tous plus ou moins ce que peut engendrer une vie active sur liste d’attente.

On pourrait croire, après cette petite aventure, que mes inscriptions en master 2 n’auraient pu être que mieux préparées pour parer à l’éventualité d’un échec : que nenni, vous répondrai-je. Si le processus a ses complications lorsque l’on suit la voie, disons « naturelle », on imagine bien qu’une réorientation ne vient pas le simplifier, plus encore lorsqu’on est aussi paumé que Sandra Bullock dans le système solaire, dans ses désirs professionnels.

Quoi, j'exagère ?
Quoi, j’exagère ?

Après avoir tenté, sans trique, des candidatures en master 2 (« Bonjour, suite à l’étude de votre dossier, je suis au regret de vous informer que votre candidature pour le master Journalisme : Reportage et Enquête n’a pas été retenue. Je vous souhaite une bonne continuation. Bien cordialement », je ne te dis pas pourquoi, sur quels critères, je veux pas vexer, retourne dans ta fac de feignasses, gros bisou), je me suis finalement réfugiée dans les valeurs sûres : retour à la case M1 de lettres, celui-là même sur lequel je chiais après la licence en partant pour Tours. La rébellion a ses limites, surtout lorsqu’on son nom se trouve sans liste fixe en début septembre. C’est étrange, ce refus pathologique à ne figurer sur aucune liste, ou bien tout simplement à en trouver de nouvelles, comme celle de responsables associatifs, de services civiques, de bénévoles, ou simplement de passagers d’un train ou d’un avion pour faire un « break » – pas break de la vie, hein, mais quand même un peu, parce que ceux qui font des voyages, c’est un peu ceux qui foutent rien (I-R-O-N-I-E). Mais le plus scandaleux, c’est que certaines collègues de mon ancien master n’ont pas été reprises en master 2, après une sélection plutôt drastique basée sur les résultats, peut-être sur la gueule, le projet professionnel et ses prétentions géographiques. Merci la sélection entre les master 1 et 2, au sein d’une même université, d’un même cursus.

Je sais ce que le monde entier brûle maintenant de savoir : on est en avril, c’est quoi, la prochaine ? Quand on a un projet clair, forcément, préparer sa candidature est un exercice plus aisé. Pour le master 2, celui que je veux vraiment faire, j’ai dragué les concepteurs de liste et j’ai mis des ronds sur mes i. Cette fois-ci, les sélections étaient ouvertement compétitives : on a tous gratté et dit des choses en entretien pour voir nos noms inscrits dans une base de données restreinte. Résultat, je suis la dernière de la liste alphabétique, mais j’y suis. Ca va, les gars, la vie va continuer l’an prochain, je suis référencée quelque part. On aurait tendance à pousser un soupir de soulagement et s’allumer une clope de la victoire, si tant est que le master 2 en question ne soit pas en alternance, et qu’on n’ait pas, pour confirmer notre nom sur la liste, un contrat d’apprentissage à trouver et donc une autre liste à trouver pour y foutre son nom.

« Bonjour,

Nous avons reçu votre candidature et l’avons étudiée avec attention.

Tout d’abord, nous tenons à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à notre entreprise. Toutefois, nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n’a pas été retenue.

Nous vous souhaitons une pleine réussite dans vos recherches.

Nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations.
L’équipe en charge du recrutement
L’entreprise de tes rêves, à présent jetés dans les poubelles des Enfers »

Qu’y a-t-il de plus épuisant entre la confection d’un dossier d’inscriptions, la préparation d’ « épreuves » écrites et orales en vue d’une liste d’inscrits en master 2, et la confection d’un CV et d’une lettre de motivation suivis d’un entretien pour atteindre la sainte liste de salariés d’une entreprise ? J’ai l’impression de demander ce que l’on détesterait le moins entre un ragoût d’orteils et des poils de sourcils qui poussent à l’infini. Il faudrait également faire une étude psychologique sur les destinataires de ces courriels de 3 lignes, mesurer leur taux de confiance en eux, une fois passé au mixer.

A l’heure où je vous cause, je suis sur liste d’attente pour confirmer mon inscription sur la liste du master. J’ai l’impression que l’ordre de cette phrase n’est pas le bon, et pourtant, si.

Demain, je dois prouver que « Couc » ne fait pas tâche sur la liste des salariés de l’entreprise de mes rêves jetés aux poubelles des Enfers mais-en-fait-non-parce-que-l’autre-candidature-on-l’avait-pas-lue. L’exercice de l’entretien mérite un billet à lui seul. Il arrivera bien vite. Reste à savoir s’il sera illustré d’une photo de Belzébuth ou d’une femme courant dans un pré gorgé de soleil.

L’Ambition professionnelle.

Comme je l’ai déjà dit dans un autre article, il semblerait que nous autres Masters 1 soyions là où nous sommes pour une raison cosmique ; trouver un travail dans la branche pour laquelle nous nous sommes embrigadés dans des études.

Après avoir dit ça, j’avais essayé de montrer à quel point il n’en était pas moins sûr pour certains qui, finalement, n’ont comme vision de leur futur professionnel qu’une sorte de projection fantasmatique, dans laquelle ils porteraient, que sais-je, un tailleur chic et des chaussures Jimmy Choo, en plein centre de Manhattan, avec un stylo coincé derrière l’oreille, avant de se jeter à corps perdu dans une chronique sur une pièce de théâtre. Bon, j’exagère. Sur un film.

Je suis amenée à causer ambition professionnelle après un tour de table un peu gênant à l’occasion d’un cours de gestion, il y a une semaine. Un par un, nous nous présentions à un prof ancien juriste, et maintenant minie célébrité tourangelle (doté qui plus est d’une bonne capacité slipale), qui nous demandait les raisons pour lesquelles nous nous trouvions dans ce master de Médiation des Arts du spectacle, ainsi que le métier auquel nous aspirions. J’étais la dernière. La faute à ma binôme (c’est faux). Et tandis que tout le monde décrivait (plus ou moins) joyeusement un futur métier en rapport avec ses études, autrement dit la culture et les publics, je commençais mon intervention pour conclure : heum, bien, hm, alors moi, et bien, pour être honnête, je me suis trompée de filière.

Heureusement que les profs s’en foutent un peu de nous à la fac. Qu’ils ne nous connaissent pas, j’entends.

Après ça, j’étais de nouveau conduite à parler avenir professionnel pendant tout le week end, et j’ai été rassurée ; dans la bande, certains n’avaient pas l’air non plus de suivre l’autoroute vers leur aspiration professionnellement divine. Et puis j’ai remarqué une chose ; chez les anciens Masters, comme chez quelques actuels, on retrouve le même discours désabusé concernant la marche suivante.

On me dit que je choisis une voie sans avenir pour ma réorientation – comme on me l’avait dit pour les douze mille autres plans que j’avais eus depuis mes douze ans (bon ok, chanteuse, c’était peut-être un peu plus bouché comme secteur) – on parle de rémunérations qui ne sont pas à la hauteur de notre niveau de diplôme, on évoque les réseaux, et très vite ensuite les pistons (ah, piston, ça sonne tout de suite plus péjoratif). On parle de secteurs bouchés, corrompus ou tout simplement ruinés.

3221802943_1_8_vuEVsYCf

En fait, lorsque nous évoquons les métiers vers lesquels nous souhaiterions tendre, nous nous cassons de façon systématique et quasi pathologique la boîte crânienne à coups de  »conjectures » et de  »débouchés ». Nous autres, étudiants pas franchement persuadés de leurs ambitions, nous sommes désabusés. Ainsi, dès lors que l’on évoque sa nouvelle envie de se lancer dans le journalisme, quelqu’un qui travaille comme l’un d’entre eux nous en dissuadera aussitôt, et, un peu plus tard, on réalisera que la personne assise à côté de nous exerce l’activité dont nous rêverions mais… qu’il n’est pas payé pour le faire.

Et pour mes collègues déjà convaincus de leur aspiration vers la médiation culturelle, je vous dis pas ce qu’ils se prennent dans la tronche pendant les cours. A les entendre, les professionnels, ils mangent de la soupe et des nouilles tous les jours (ça s’appelle de la soupe aux vermicelles) et vivent sur leur lieu de travail, sur-exploités mais heureux de l’être car passionnés. Mais, finalement, c’est un peu le genre de discours qu’on entend partout. Pour tous les métiers.

Autrement dit, chers collègues, vos ambitions professionnelles ne doivent SURTOUT PAS se diriger vers les domaines suivants :

-le journalisme

-la recherche

-la culture

-le sport

-le droit

-l’audiovisuel

-la fonction publique

-L’agriculture

-L’architecture

-La restauration

-L’industrie automobile

letudiant.fr, fracasseur d'ambitions
letudiant.fr, fracasseur d’ambitions

Sinon, il paraît que vous allez vous casser les dents.

Si c’est pas nous étouffer dans l’oeuf…

Alors moi, je vais rester étudiante toute ma vie.

Bisou bisou.

Movin’ on.

le-premier-jour-du-reste-de-ta-viea

Une petite dernière vingtenaire semble se trouver naturellement à un moment charnière. Il semblerait que les aînés soient devenus de vrais adultes, au sens financièrement et quotidiennement indépendant de l’autorité parentale, et que nous soyons là pour y assister.

 

J‘avais oublié que les âges des membres de notre famille bien nucléaire, bien confinée, n’étaient pas seulement des soirées d’anniversaire avec un repas copieux et des emballages plutôt mal scotchés. On ne voit pas nécessairement ceux que nous pratiquons au quotidien grandir, aussi, lorsque j’ai réalisé que mes aînés tendaient dangereusement vers leurs trentaines respectives, j’ai dans le même temps réalisé que je n’en étais qu’à une vingtaine à peine fécondée, pas encore bien digérée.

 

La charnière que représente la vingtaine d’une petite dernière consiste à voir se déplacer le noyau bien formel de sa famille, pour s’accomplir ailleurs, peut-être juste à côté, mais ailleurs quand même. La famille ne se morcelle pas, simplement, elle se multiplie. Et lorsqu’on élargit tout ça aux oncles, tantes, aux cousins ou aux grands-parents, peut-être pourrait-on dire qu’elle tend même à se démultiplier. Il ne s’agit pas que de la multiplication des personnes, mais aussi des lieux, des professions et des réseaux. Mais comme on n’est qu’une micro vingtenaire, qui se complaît encore d’une certaine manière dans son œuf, et bien on se demande simplement comment vont se peloter tous les fils.

 

Et puis, on est impatient de le vivre.

Être En master.

Comme à chaque fin d’une nouvelle ère, je m’étais figuré, après avoir validé ma licence, obtenir une nouvelle stature. Genre, un truc d’adulte. Tout comme lorsqu’on se trouve au mois de juin de son CM2, et que l’on réalise qu’on est plus grand que tous les autres dans la cour de récré, avec un semblant de seins, et prêt à passer à autre chose.

Mais la conclusion de tout ceci consiste à se rendre finalement compte qu’à la rentrée suivante, on est redevenu les éternels plus petits.

On nous dit de faire des études, alors beaucoup le font. Pour les plus chanceux, on les choisit, autrement dit nous nous engouffrons nous-mêmes dans une voie qui nous paraît la meilleure pour nous. Je suis étudiante depuis bientôt quatre ans, embourbée dans le système universitaire, je parlerais donc de ce que je connais le mieux ;

la Fac

HA REGARDEZ ELLE A MIS UNE PHOTO DE GLEE. Et bien oui. J'assume.
HA REGARDEZ ELLE A MIS UNE PHOTO DE GLEE. Et bien oui. J’assume.

Les gens ne se rendent pas compte à quel point il est étrange, pour un bachelier tout neuf, de se trouver face à des intitulés de licence tels que Lettres Modernes, Psychologie ou encore Biophotonique. Les gens comme moi, qui ont fait L, ES ou S, ont suivi un parcours généraliste, plus encore pour les promos pré 2011, puisque j’ai cru comprendre qu’ils avaient ajouté pas mal d’options pour les lycéens ensuite. Quoi qu’il en soit, et même s’ils nous vendent ces trois filières comme les déterminants d’une filiation intellectuelle, on nous assurait qu’il était in-envisageable de faire sauter les cours de maths, ou de philosophie. Imaginez les tronches respectives du futur chercheur latiniste et du biophysicien.

Tous ces profils, au moment de choisir un parcours universitaire, se trouvent face à des spécialisations vers lesquelles ils vont se diriger en fonction des affinités qu’ils croient avoir avec des matières générales, qui sont à des années lumières de ces cursus. J’aimais le français au lycée, j’ai fait Lettres Modernes. Mais je ne savais pas que l’étude des Lettres Modernes était aussi peu moderne, j’ignorais qu’on allait me coller du latin tandis que je faisais une grève de la faim à l’aube de ma cinquième pour ne pas en faire, j’ignorais que je ferais du grec ancien, que je n’étudierais que des auteurs du XIXème siècle, j’ignorais que je n’écrirais pas. Pas de production personnelle, pas d’avis, non, seulement le commentaire de texte bien formaté, et dont on ne doit surtout pas tirer de réflexions personnelles. J’ignorais qu’on m’apprendrait ce que Flaubert voulait dire.

Ma licence de lettres n’avait pas grand chose à voir avec les cours de français du lycée, et j’ai finalement suivi ce cursus parce qu’il ne m’était pas envisageable d’en changer, d’avoir l’impression de m’être trompée, et de tout recommencer par le début. Du coup, j’ai acquis une culture générale, un peu, et une façon de penser, beaucoup. Une façon de penser en trois parties, trois sous-parties, quoique la troisième est toujours difficile à trouver pour moi.

Tout ce fatras du lycée à la licence… alors pensez bien que j’imaginais avoir franchi la marche la plus grosse, et qu’ainsi la rentrée en Master serait du pipi de chat universitaire. Que nenni.

 

Les intitulés de Master sont encore plus troublants que ceux des Licences ; culture et médiation des arts du spectacle, ou infectiologie : microbiologie, virologie, immunologie ? Choisis ton délire. J’ai la nette impression que du côté scientifique, les spécialisations sont plus précises, et c’est finalement plutôt normal ; du côté des lettres et des pauvres drogués de la filière plus artistique, en revanche, c’est un peu difficile de s’y retrouver. Le problème avec le Master, c’est qu’on a la sensation de choisir une réelle voie professionnelle, autrement dit, une formation pour un métier précis, ce qui impliquerait de connaître le métier pour lequel on aimerait passer la majeure partie de son temps par la suite.

Je n’imagine même pas la galère que ça doit représenter pour ceux qui n’en n’ont tout simplement aucune foutue idée ; car même ceux qui en ont une petite arrivent à se planter de formation. Aussi, on s’est trouvé, Cindouille et moi, au bout d’un mois de cours dans ce Master, à s’accorder sur le fait que nos ambitions professionnelles étaient en décalage avec celles que l’on nous proposait. Bref, je me suis plantée de filière, les enfants. Ça arrive à tout le monde.

La conclusion de tout ceci consiste en une observation positive, je vous le promets.

Parce que finalement, je vais terminer cette première année de Master. J’aurais pu m’enfuir et partir faire le tour de France en trottinette, après m’être tatoué Carpe Diem sur les fesses. Mais non. Le système universitaire a ce défaut de proposer des spécialisations qui se trouvent être finalement trop restreintes au regard du monde professionnel dans lequel nous nous trouvons projetés comme de ridicules éclats de peinture sur une toile un peu flippante. Cette phrase est complètement longue.

Lorsque nous sortons de l’obscurité, après cinq années d’études, nous sommes devenus des spécialistes de notre spécialité, imaginons pour moi, de littérature française du XIXè. Et tout le reste, alors ? Comment vend-on cela sur le marché de l’emploi ? Et mon Carpe Diem sur les fesses qui commence à chauffer…

 

Le système de la fac nous spécialise presque trop, et de façon quasi exclusivement théorique qui, selon mon humble avis, n’est pas la motivation principale d’un employeur au moment de l’embauche. Parce que je suis aussi convaincue d’une chose, comme le sont beaucoup d’autres ; la voie universitaire ne nous forme pas au métier pour lequel nous passerons une heure dans les bouchons un samedi après-midi (oui je parle de toi, Tho), parce que nous n’exercerons pas exactement le métier chimérique auquel nous pensons aspirer. Et c’est pour ça que je vais finir cette première année de Master. Pour grappiller des trucs.

Je veux dire, si un jour je souhaite être chroniqueuse, je sais parfaitement que je serais susceptible d’obtenir un entretien pour devenir assistante rédactrice ou un métier de l’ombre de ce genre, consistant à faire des photocopies (de mes fesses). Les cours pendant lesquels je me casse le cul sur une chaise inconfortable (je parle beaucoup de mes fesses dans cet article, non?) ne m’apprennent pas les tâches que j’exercerais dans ma vie professionnelle, mais ils diversifient ma formation personnelle. Et diversifier ses compétences, c’est coul.

La fac a cela de positif qu’elle nous a fait obtenir une méthode de travail, ainsi qu’une façon de réfléchir. Elle est aussi un immense foutoir donnant accès à d’innombrables activités, auxquelles je n’aurais jamais pensé participer si je n’avais pas été en licence avec une amie du tonnerre. C’est comme ça qu’on se retrouve à faire de la boxe, à faire croire qu’on sait jouer au volley, à faire une option échecs (je parle de mon frère. Mon frère qui a quand même validé des crédits en faisant cette option), écriture radiophonique ou encore de la langue des signes (je parle de Ju, la copine du tonnerre). Et oui, je suis contente d’inscrire sur mon CV les sports qu’on a essayés de faire pendant ces trois ans, parce que d’une certaine manière, je me dis que ce genre de détails – les activités diversifiées qu’on aura pratiquées – saura faire des bulles dans la tête d’un éventuel employeur. Plus que le diplôme même d’une licence de lettres modernes.