Je ne m’explique pas notre besoin pathologique à savoir nos noms inscrits sur des listes. Bon, il y a des listes plus sympas que d’autres, comme celle des prix Nobel ou des collecteurs/expéditeurs de pommes de terre. A échelle estudiantine, les listes d’inscriptions dans un établissement d’enseignement supérieur relèvent de la quête existentielle. C’est bien simple, lorsqu’on est intégré au joyeux circuit administratif universitaire, on se trouve à côtoyer une crainte chaque année, vers avril : s’en trouver évincé, ne plus figurer sur aucune liste, bref, rater ses inscriptions. Nous sommes listés depuis notre naissance et jusqu’à la fin du lycée, sans réellement nous en rendre compte parce que nous suivons encore l’ordre donné comme logique.
C’est après le BAC, lorsqu’il faut choisir la direction que va prendre son avenir professionnel, que la question de la liste vient gentiment fouetter les fesses nues de nos certitudes. Personnellement, la panique des inscriptions s’est déclarée pour la première fois à la fin de la licence. Après avoir préparé mes inscriptions en master avec une avance confortable, j’ai reçu un courriel plutôt désagréable me signalant que j’étais sur liste d’attente. Il fallait attendre septembre pour connaître l’issue finale de ma candidature, tandis qu’on m’assurait, du côté de mes proches, qu’une licence validée mention bien ne devrait pas rencontrer d’obstacles lors de mes inscriptions. Premier retour de bâton : on s’en fout, de ton 15 de moyenne, il y en a de meilleures et tu ne seras acceptée qu’en cas de désistement. Situation plutôt inconfortable, solutionnée fin août après qu’un adorable candidat meilleur que moi ait décidé d’aller ailleurs, certainement vers une meilleure formation avec d’autres meilleurs candidats. Ne nous formalisons pas, rien à foutre, je suis quelque part. Car c’est un peu ça, l’enjeu : notre nom sur la liste symbolise notre appartenance à quelque chose, ici au système universitaire qui, si nous ne cherchons pas plus loin, représente l’une de nos conditions d’existence. Si j’en suis évincée, je n’appartiens plus à rien d’autre qu’à la liste d’adhérents d’une association sportive, d’électeurs, d’abonnés à un réseau mobile ou à la newsletter d’un quelconque média. Il se trouve que la formation universitaire représente une grande partie de ma vie puisqu’elle en influencera l’un des éléments constitutifs, aka la vie active. Or, on sait tous plus ou moins ce que peut engendrer une vie active sur liste d’attente.
On pourrait croire, après cette petite aventure, que mes inscriptions en master 2 n’auraient pu être que mieux préparées pour parer à l’éventualité d’un échec : que nenni, vous répondrai-je. Si le processus a ses complications lorsque l’on suit la voie, disons « naturelle », on imagine bien qu’une réorientation ne vient pas le simplifier, plus encore lorsqu’on est aussi paumé que Sandra Bullock dans le système solaire, dans ses désirs professionnels.
Après avoir tenté, sans trique, des candidatures en master 2 (« Bonjour, suite à l’étude de votre dossier, je suis au regret de vous informer que votre candidature pour le master Journalisme : Reportage et Enquête n’a pas été retenue. Je vous souhaite une bonne continuation. Bien cordialement », je ne te dis pas pourquoi, sur quels critères, je veux pas vexer, retourne dans ta fac de feignasses, gros bisou), je me suis finalement réfugiée dans les valeurs sûres : retour à la case M1 de lettres, celui-là même sur lequel je chiais après la licence en partant pour Tours. La rébellion a ses limites, surtout lorsqu’on son nom se trouve sans liste fixe en début septembre. C’est étrange, ce refus pathologique à ne figurer sur aucune liste, ou bien tout simplement à en trouver de nouvelles, comme celle de responsables associatifs, de services civiques, de bénévoles, ou simplement de passagers d’un train ou d’un avion pour faire un « break » – pas break de la vie, hein, mais quand même un peu, parce que ceux qui font des voyages, c’est un peu ceux qui foutent rien (I-R-O-N-I-E). Mais le plus scandaleux, c’est que certaines collègues de mon ancien master n’ont pas été reprises en master 2, après une sélection plutôt drastique basée sur les résultats, peut-être sur la gueule, le projet professionnel et ses prétentions géographiques. Merci la sélection entre les master 1 et 2, au sein d’une même université, d’un même cursus.
Je sais ce que le monde entier brûle maintenant de savoir : on est en avril, c’est quoi, la prochaine ? Quand on a un projet clair, forcément, préparer sa candidature est un exercice plus aisé. Pour le master 2, celui que je veux vraiment faire, j’ai dragué les concepteurs de liste et j’ai mis des ronds sur mes i. Cette fois-ci, les sélections étaient ouvertement compétitives : on a tous gratté et dit des choses en entretien pour voir nos noms inscrits dans une base de données restreinte. Résultat, je suis la dernière de la liste alphabétique, mais j’y suis. Ca va, les gars, la vie va continuer l’an prochain, je suis référencée quelque part. On aurait tendance à pousser un soupir de soulagement et s’allumer une clope de la victoire, si tant est que le master 2 en question ne soit pas en alternance, et qu’on n’ait pas, pour confirmer notre nom sur la liste, un contrat d’apprentissage à trouver et donc une autre liste à trouver pour y foutre son nom.
« Bonjour,
Nous avons reçu votre candidature et l’avons étudiée avec attention.
Tout d’abord, nous tenons à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à notre entreprise. Toutefois, nous sommes au regret de vous informer que votre candidature n’a pas été retenue.
Nous vous souhaitons une pleine réussite dans vos recherches.
Nous vous prions d’agréer nos meilleures salutations.
L’équipe en charge du recrutement
L’entreprise de tes rêves, à présent jetés dans les poubelles des Enfers »
Qu’y a-t-il de plus épuisant entre la confection d’un dossier d’inscriptions, la préparation d’ « épreuves » écrites et orales en vue d’une liste d’inscrits en master 2, et la confection d’un CV et d’une lettre de motivation suivis d’un entretien pour atteindre la sainte liste de salariés d’une entreprise ? J’ai l’impression de demander ce que l’on détesterait le moins entre un ragoût d’orteils et des poils de sourcils qui poussent à l’infini. Il faudrait également faire une étude psychologique sur les destinataires de ces courriels de 3 lignes, mesurer leur taux de confiance en eux, une fois passé au mixer.
A l’heure où je vous cause, je suis sur liste d’attente pour confirmer mon inscription sur la liste du master. J’ai l’impression que l’ordre de cette phrase n’est pas le bon, et pourtant, si.
Demain, je dois prouver que « Couc » ne fait pas tâche sur la liste des salariés de l’entreprise de mes rêves jetés aux poubelles des Enfers mais-en-fait-non-parce-que-l’autre-candidature-on-l’avait-pas-lue. L’exercice de l’entretien mérite un billet à lui seul. Il arrivera bien vite. Reste à savoir s’il sera illustré d’une photo de Belzébuth ou d’une femme courant dans un pré gorgé de soleil.