Fille d’instits.

Mon frère dit que je commence toujours un article par une affirmation que je m’évertue ensuite à réfuter. Aussi, je ne le ferais pas dans celui-ci, histoire de dire qu’il a tort.

Et merde, c’est c’que j’viens d’faire.

Au moins, je vous ponds pas un article lourdingue sur le thème du moment – la Saint Valentin sadomasochiste – thème qui mériterait pourtant l’excitation de notre réflexion collective.

Sans transition (qui est une transition).

Il y a presque une semaine, nous avons suivi un cours de pédagogie et didactique du cinéma, pendant deux heures. Autant vous dire que je n’y allais pas en chantant the hills are alive with the sound of music, surtout que cette prof me fait carrément peur ; la raison de cette petite appréhension provient certainement du fait qu’elle nous ait allumées mon amie et moi la veille. A la fin du cours, elle nous a donc sauvagement (verbalement) agressées de façon complètement humiliante parce qu’on n’avait soit disant pas arrêté de parler. Faux ; les deux premières heures, je jouais à candy crush.

Peu t’importe, je suis donc allée en cours la tête presque haute, de quinze à dix sept heures, avec ma prof sodomite.

Son but est de dérouler l’évolution de l’éducation du jeune public par l’image ; suivant ce petit parcours chronologique, elle s’attache également à nous montrer le statut de l’enfance véhiculé par ces mêmes images, soit proprement pédagogiques, soit ‘récréatives’, comme elle dit.

Est-ce si folichon ? Pas pour les gens qui s’en foutent un peu, finalement. Mais en parlant de l’éducation par l’image, notre prof est amenée à parler des figures qui en sont chargé ; les enseignants. Ô ! douce surprise ; l’autorité flippante et machiavélique de la prof s’est évanouie au profit d’un discours sur-positif concernant le travail de certains enseignants, à travers les époques. « Marié à une instit, hein, bien sûr, et tous les deux de gauche, cela va de soi », elle plaisante, mais pas trop. J’oublie l’étiquette ; ma prof a majoritairement dépeint la figure de Monsieur Célestin Freinet selon son travail effectué au profit des enfants.

TU VOIS QU'ILS S'ECLATENT
TU VOIS QU’ILS S’ECLATENT

Finalement, lorsque l’on parle des instits, on oublie souvent de parler des enfants, ou inversement ; comme s’ils formaient deux institutions distinctes en cohabitation poussive. Lorsque l’on parle des instits, on parle de leurs vacances, de leurs grèves, des réformes, ou bien de leurs horaires ; on ne parle pas beaucoup de leurs salaires, même si j’entends depuis peu, dans la bouche de Najat, qu’ils sont exclusivement bas selon par rapport au niveau européen. Bref, la figure de l’instituteur – que l’on appelle désormais professeur des écoles – est largement caricaturale, identifiée de manière isolée par rapport aux enfants qu’elle encadre.

Mes parents sont tous les deux professeurs des écoles en élémentaire (on a dû leur faire passer un concours de ‘professeurs des écoles’ pour avoir la même appellation que ceux de collège et lycée ; ça n’a rien changé, il semble que les instits n’atteindront jamais le même statut fantasmatique). Ils partent avant huit heures le matin, et revenaient après dix huit heures avant que la réforme des rythmes scolaires ne vienne changer ces habitudes. Mes parents parlent quotidiennement de leur travail, depuis toujours, ne se contentant pas de nous raconter des anecdotes croustillantes sur quelques élèves. Ils parlent de leurs projets photos, cinéma, bibliothèque, contes, potager ; de leurs sorties vélo, escalade, randonnée ; de leurs visites à la carrière de pierre, à Vaux-le-Vicomte ou bien au Musée du village ; de leurs classes transplantées. Comme si l’instit n’était qu’un lugubre personnage diffuseur d’algèbre, de grammaire et d’histoire. Comme si l’école ne représentait pas une maison secondaire où ingérer les codes sociaux fondamentaux.

Mes parents parlent aussi du numérique, des statistiques, et de tout ce qu’on leur demande de remplir en ligne. De tout ce qu’on leur demande en général, en fait ; des exigences en évolution perpétuelle, envers des gens qui ont vingt ans de carrière et qui n’ont pas nécessairement reçu de formations équivalentes à ces changements. Ces formations réduiraient leur temps de classe – temps réduit de toute façon par celui passé à remplir les tableaux de statistiques en ligne.

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Mes parents se donnent à leur travail, et connaissent leurs élèves ; ils aiment même les chiants tant ils savent qu’ils le sont malgré eux. Mes parents sont des psys pour leurs parents d’élèves, ou bien des punching balls. Souvent, les parents souhaitent faire bonne impression, se mettent la pression vis-à-vis de l’instit. Je lui corrige tous les devoirs, on lui fait faire des exercices en plus à la maison, j’essuie les fesses de Lucas… comme si l’instit avait pour rôle de juger l’éducation des parents sur leurs enfants. Ils n’en ont tellement pas le pouvoir que lorsqu’une gamine arrive le matin en ayant dormi dans les habits de la veille, le signaler ne fait pas nécessairement évoluer les choses. Mes parents côtoient presque toute la palette des conditions sociales, ce qui leur a donné tant de fois l’occasion de déplacer certains liens que nous faisons tous entre une condition sociale et une éducation, et plus encore un environnement familial.

Finalement, mes parents apprennent inlassablement des choses sur tout le monde – apprentissages en perpétuel renouvellement histoire de ne pas trop compliquer les choses.

Forcément, être fille d’instits ne signifie rien d’autre qu’être fille d’instits. En fait, mes frères et moi sommes des enfants d’instits parce que c’est ce que l’on dit de nous, mais personne ne peut en donner une définition Laroussienne ; ça aurait autant de sens qu’il y a d’enfants de professeurs des écoles. Mes parents n’ont presque jamais vérifié mes devoirs (avant tout parce que de toute manière, je me mettais à pleurer s’ils m’aidaient en maths), et n’ont jamais eu d’exigences extravagantes vis-à-vis de notre scolarité à tous les trois. Ils ne nous avaient pas appris à lire ou écrire avant le CP, et je n’avais pas de meilleurs plats à la cantine.

En revanche, nous disposons encore aujourd’hui d’un remarquable stock de cahiers, feuilles à dessin, papiers crépons, bouteilles de peinture et autres matériels de classe. Mais le mieux, lorsque l’on est fille d’instits, c’est qu’ils sont là pour vous trimbaler en vacances, et suivent un emploi du temps suffisamment proche du vôtre pour être attentifs et bien renseignés de votre actualité vitale. Mes parents ont toujours connu les noms de mes profs, les projets dans lesquels j’étais investie, ainsi que les anecdotes ridicules de certaines de mes journées ; ils ont toujours su quelles étaient mes amies, et qui parmi elles étaient devenues des ennemies mortelles. Ils connaissent même les petits surnoms affligeants attribués à certaines fréquentations.

Enfants d’instits et identifiés comme tels dans un réseau de petits villages ruraux, nous étions un peu connus malgré nous. C’est peut-être là le seul point négatif de ce statut imaginaire ; la célébrité débordante * ton-ironique-que-tout-le-monde-s’en-fout *.

 

Pour tout vous dire, la verbalisation des projections mentales du métier d’instit’ dans des bouches incertaines me révolte un peu. Surtout concernant l’école élémentaire. « C’est un peu facile », « c’est répétitif, monotone », « les gamins sont petits, tu peux pas t’amuser avec eux » ; c’est vrai que tout le monde, aujourd’hui, saurait rigoureusement souligner en bleu un complément circonstanciel de moyen, en vert un complément d’objet direct, et maîtriserait parfaitement ses tables de multiplication (franchement 8 x 7 ça rentrera jamais). Et allez, tout l’monde pense au résultat. C’est vrai qu’un enfant de dix ans ne connaît rien à l’humour, et ne saisit surtout pas le second degré ; il faut leur parler avec une voix très aiguë et mielleuse en permanence, ne surtout pas les bousculer, histoire de laisser déjà s’infuser l’idée que les adultes sont des vieux cons.

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On fige les instits dans une posture d’inertie face à une masse d’ignares. Vous pensez que j’exagère ma victimisation ? M’en fiche, je fais ce que je veux dans mon blog.

En fait, chaque jour diffère dans un calendrier pourtant rigoureusement répétitif, puisque les règles, les programmes, les élèves, le climat, les récrés et les pauses à la cantine changent. L’école se meut en permanence, et tout le monde avec, ce qui fait du métier d’instit une profession dynamique, qui a le mérite de surprendre, même après presque trente ans de carrière.

Et puis, s’il fait bien son boulot parce qu’il l’aime, il n’y a pas plus bienveillant qu’un instit. Sinon, il ne serait pas là à s’emmerder pour apprendre des trucs à la génération future.

Les Enfants

Je suis nulle avec les enfants.

C’est vrai. Je le suis. Je l’ai toujours plus ou moins été ; même petite, j’étais, on va dire, embarrassée par les enfants plus jeunes que moi, que je croisais à l’occasion de soirées parentales avec des amis. J’ai toujours pensé présenter les symptômes de cette population un peu honteuse, les je-supporte-pas-les-gosses, repoussoirs pathologiques de joyeux bambins, moissonneuses batteuses de l’univers pailleté des adorateurs de petites bouilles joufflues. Et j’ai fini par m’en convaincre toute seule ; ouais, j’aime pas les gosses. Je pense avoir compris tôt que ça ne venait pas d’eux : non, tous les gamins qui m’entourent, briquettes de jus de raisin à la bouche dans le RER, couches-aux-culs à poussettes dans les files d’attente, ne sont pas des sales gosses. Pas tous. Ca vient de moi. En fait, ce n’est pas vraiment que je ne les aime pas ; ils me font peur. Je ne sais pas comment me comporter avec eux, de quelle manière leur parler, ni même de quoi. Lorsqu’ils croisent mon regard, quelques fois, je les sens tentés de m’interpeller, et lorsqu’ils concrétisent cette envie soudaine, je panique, soit parce que je ne comprends tout simplement pas ce qu’ils peuvent bien me raconter, soit parce que je ne sais pas quoi leur répondre. « Aujourd’hui j’ai découpé une fleur en papier ». Oh je vois, répondrait notre simple et pourtant efficace orateur et ami Tarzan. Mais je sens bien qu’ils ne sont pas si cons, les gamins, ils attendent quelque chose d’un échange comme celui-ci, en fait, les gosses, ils ont envie de causer, d’avoir ton attention, ton intérêt, et ils sont curieux aussi à notre sujet, nous, les grands.

Oui, je suis vraiment nulle avec les enfants. Notre relation a toujours été bien compliquée. Hé, quand on est la petite dernière de la famille, tous cousins confondus, et bien on ne sait tout simplement pas comment s’y prendre. On n’a pas eu le mode d’emploi.


Et puis, mon grand-frère nous a annoncé quelque chose. « On va avoir un enfant ». Je me doutais bien qu’ils avaient déjà fricoté sous la couette, avec ma belle-sœur, depuis huit ans qu’ils sont ensemble ces deux-là, tu penses. Mais j’avais oublié qu’on avait grandi, mes frères et moi, c’est vrai, quoi, on connaît nos âges, mais on ne les visualise pas vraiment ; j’avais oublié qu’on était plus ou moins tous devenus adultes, surtout l’aîné. J’avais oublié que mon frère pouvait devenir un papa.

Le lendemain de cette annonce, dans la voiture,

Lancée à pleine vitesse direction la Capitale, je pensais à tout c’fatras. J’allais devenir Tata Mathilde, moi, la personnification même de la nullitude infantile, moi, la catastrophe ambulante qui a laissé une gamine de trois ans, un jour, descendre seule d’un tabouret de bar. Oui, elle s’est cassé la figure. Oui, elle a pleuré. Oui, il y avait sa mère dans la pièce. * petit filet de sueur froide *

J’ai senti cette espèce de panique, putain d’effet d’après-coup, prise de conscience à retardement. Et puis, c’est sorti de moi, quelque chose a gonflé sous les yeux, et ça a explosé, comme une bulle de savon. Un putain de gros sanglot, du genre épuisant.

J’avais pas l’droit de me poser cette question, je n’avais pas le droit d’avoir peur d’être tante ; je mélangeais, dans ma tête, deux choses incomparables : les enfants, désignatif global, catégorie irrationnelle, et l’enfant de mon frère. J’ai réalisé que j’étais nulle avec les enfants, mais qu’on s’en foutait pas mal, de ce délire personnel (en fait, on dirait une espèce de mythe fabriqué par moi-même) ; c’est elle qui m’a fait réaliser que j’allais être Tata, indépendamment de tout le reste.

Et je vais être une tata géniale. Genre Julie Andrews.

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OUAIS je saurais jouer de la guitare pareil