On parle d’amour dans les médias (à suivre).

Ce billet sera mis à jour, fonction de ce que je trouve dans ma veille jusqu’ici pas active concernant le love dans les médias. Je proposerai une petite revue de je-ne-sais-quoi (tweets, relais réseaux sociaux, articles, billets, aussi bien foireux qu’intéressants) sur le sujet, actualisée (assez) régulièrement. Bisou.


Sur France Culture, les disciplines s’affrontent pour parler des causes de notre état amoureux. C’était en 2004 : j’adore l’un des reproches fait à l’encontre de la biologiste, qu’on accuse de tirer des lois générales d’expériences pourtant particulières (ce dont je parle un peu en fin d’article). Parce que la psychanalyse n’use surtout pas d’une grille théorique et de mécanismes pré-construits pour identifier telle expérience particulière, ni même la sociologie (ironie).

> Portrait chimique de votre cerveau amoureux, sur France Cul (turbolol) ;

> « Délices de la vie conjugale » sur laviedesidées.fr, au sujet du livre de Michel Bozon intitulé Pratique de l’amour ;

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Il y a tant à dire sur cet article de qualité qualiteuse. Tant à apprendre de l’amour, du plus amour et du re-amour qui vient après le pas amour.

En réalité, il s’agit plutôt d’un billet d’humeur, puisqu’il est tiré d’un blog, relayé par le Huffington Post. La rédac’ juge le Blog de Carla suffisamment bon pour apparaître sur le site et, consécration, sur ses réseaux sociaux. C’est donc via la page Facebook du HP, à laquelle je suis abonnée, que je suis tombée sur un post reconduisant vers ce billet au titre racoleur (#PuteAClics). On y trouve la liste des choses que les mères font aux toilettes, de ce qu’on ne peut faire qu’en hiver et de la promo pour une marque finlandaise. Le blog de Carla est finalement à l’image du titre de ce billet d’humeur que je décide de relever ici (« Après une séparation, 5 choses qu’une nouvelle histoire d’amour nous apprend » – parce que 5, c’est déjà bien assez pour faire un billet qui ne dépasse pas les 2 000 signes, au risque de fatiguer les lecteurs) : un genre de Topito, mais en pas drôle. Le fait de trouver ce billet sur le site du HP n’est pas le seul élément qui mette sérieusement en question la qualité de sa ligne éditoriale, mais je ne m’arrête pas là-dessus. Il ne faut pas que mon billet dépasse les 2 000 signes.

Eternel problème du billet Topito : les limites de la liste. Avec ce titre, on a la sensation de se confronter à du savoir ouvertement tailladé et prémâché. Et puis, si l’on se penche un peu sur le fond, on comprend rapidement qu’il ne pourra de toute façon pas s’agir d’un savoir, puisqu’on parle de love. Il y a autant d’experts de love que de gens suffisamment crédules pour les juger comme tels. Peu importe : notre billetiste (ce mot n’existe pas) ne prétend pas être une experte. Elle est professeure des écoles et « à la tête d’une famille nombreuse recomposée » : ce serait là sa légitimité. Non seulement elle est dans une famille recomposée (ou quand l’expérience personnelle devient une loi générale), mais elle est à sa tête : elle est donc au cœur des événements et peut témoigner en tant que cheffe de famille.

Donc, après une séparation, on apprend 5 trucs. Bien.

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Suite à ça, on lit donc le chapô (après, bien sûr, avoir regardé la belle image cliché de love sous l’arbre de l’amour), qui annonce le chiffre cliché qu’on lit partout, qu’on entend partout, et qui nous fait peut-être penser à Bridget Jones : « 45% des mariages finissent par un divorce », c’est un peu comme le taux de chômage des jeunes, on nous l’agite devant le nez pour faire un effet d’annonce sans vraiment l’analyser. Mais attention, Carla nous rassure tout de suite : « …la bonne nouvelle, c’est que nous serons tous exposés à une nouvelle histoire d’amour ». Ouf.

Cette idée, qui n’était pas assez explicite en une phrase, est réexpliquée avec des mots différents ensuite, plus nombreux. « …statistiquement, nous serons tous exposés un jour ou l’autre à une rupture. Mais la bonne nouvelle, c’est que nous serons tous également exposés à une nouvelle histoire d’amour. » Sauf que cette fois, précise-t-elle, on aura connu la rupture avant de revivre du love (ce qui veut dire exactement la même chose, on est d’accord).

Attaquons-nous au corps de texte, qui ravira nos sens et notre intellect, flattera nos besoins les plus enfouis et les plus coupables de retrouver les clichés rassurants de l’Histoire du love.

Voici les 5 « mantras que l’on devrait avoir en tête pour notre première histoire d’amour, mais que la deuxième met encore plus en évidence » (quoi?), d’après Carla :

  • donner de l’importance aux choses qui vaillent la peine : est-ce vraiment grave s’il pisse à côté de la cuvette ? (je modifie un tout petit peu le texte original). « On ne peut pas faire fuser des critiques toute la journée ». La « seule » recette du couple valable selon elle : « le compromis ». Fermez cette bouche et rangez cet air ébahi, c’est la seule recette, elle vous dit. Fermer sa gueule et ne pas en vouloir à votre compagne ou compagnon s’il oublie de se laver les dents ce matin. Parce que lui dire simplement « est-ce que tu peux ranger l’éponge dans le range-éponge » (encore que, franchement, un range-éponge a un intérêt assez limité), c’est mettre sa vie de couple en danger, faire fuser les critiques et ne pas savoir profiter de la vie, putain de rabats-joie ;

  • « ne pas vouloir changer les gens », ce qui est assez flippant lorsqu’on le lie au premier constat. Selon elle, on ne peut pas changer des traits de personnalité. Soit, difficile de la contre-dire à ce niveau-là, bien qu’il y ait des nuances. On ne peut modifier que de petites manies, selon elle, mais on en revient au premier constat : si on entreprend de faire remarquer à notre compagnon ou compagne qu’il ou elle laisse traîner ses sachets de thé partout, on passe pour un ou une casse-couille. Donc on ne le fait pas. Donc on ne tente pas de revenir sur les petites manies non plus ;

  • je rends ensuite hommage à cette phrase, qui me laisse rêveuse : « Métro, boulot, dodo, marmots, lessivo, repasso, gigot… et pas assez souvent mojito romantico ! » sic. Son conseil : « aimez-vous », suivi d’un lien pour nous inspirer et nous montrer comment qu’on peut s’aimer. ARGH ! Le lien renvoie vers son blog et un autre billet topito (« Couple : 10 gestes positifs pour les amoureux » – parmi eux : « lui dire je t’aime et le penser ») ;

  • un cliché sur des disputes ponctuées de débris de vaisselle et voilà l’idée de la communication au sein du couple, cliché des clichés, clichesquement illustrée ;

  • « Vive l’amour, mais vive la liberté ! ». Il faut avoir des activités en solo, comme dirait Carlita. Et si monsieur veut faire de la moto, qu’il la fasse, son activité d’homme. Les femmes n’aiment pas ça, de toute façon.

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On rigole, on se fend la poire, on se tape le cul par-terre (comme il faut dire plusieurs fois la même idée mais avec plus de mots), mais je trouve tout ceci sincèrement effrayant. On comprend peut-être, après avoir été obnubilés par la titraille et la photo, qu’il s’agit d’un blog, mais cette précision peut nous échapper. Puis j’ai repensé à mon billet sur les exs. Filet de sueur froide. Putain, moi aussi, j’énonce des généralités sur le plus love sous forme de liste à puces.

Une différence (même si j’espère qu’il y en a plus d’une) : je ne suis pas référencée sur le Huffington Post, ne prétends pas faire de l’actu, ni avoir une quelconque expertise dans le domaine (je n’ai pas énoncé mon statut de « ex de quelqu’un » comme s’il pouvait me légitimer dans ce récit d’expérience).

Dans ce billet a priori inoffensif et bien intentionné, Carla prend de façon évidente une position ascendante : elle dispense un savoir tiré d’une expérience et cherche à intervenir dans notre conception du love. Le sujet est piégeur, puisqu’il est aussi bien sociétal – tout le monde est concerné – qu’intime – tout le monde est différemment concerné. Il ne s’agit pas d’une discipline dont on peut tirer des lois générales. Ce constat rejoint celui fait dans les billets concernant les schémas et les étiquettes lors de rencontres potentiellement amoureuses que j’ai rédigés il y a quelques temps déjà.

Le sujet paraît léger mais il ne l’est pas tant que ça, les conséquences des discours d’experts en carton non plus. Ces discours, comme ceux de Carla, qu’ont initié et que perpétuent certaines comédies romantiques, séries télévisées, la littérature, la poésie, la religion, nourrissent des fantasmes, font de vies de couples « la vie conjugale », comme si elle pouvait être une idée, non plus une multitude d’expériences concrètes. Cette tendance à tout théoriser, à schématiser ce qui ne doit pas l’être – pour se rassurer, peut-être, se donner une position de surplomb dont on tire un pouvoir, sans doute -, est exaspérante. Industries à clichés, à fantasmes, à stigmatisations (c’est une femme et un homme, il se gratte les couilles et n’est visiblement pas familier du lave-vaisselle) : ces « voix de l’amour » parasitent notre faculté à penser par nous-mêmes ce qui ne concerne que nous.

Je les entends partout, et même dans ma bouche, lorsqu’on sollicite mon avis sur une situation conjugale donnée à un moment donné concernant des connaissances, ou ami.e.s proches. Qu’on sollicite mon avis – attendu par certains comme un acquiescement, un soutien, une expertise, une comparaison, etc. – me met toujours un petit peu mal à l’aise. A la question « que dois-je faire » dans les paramètres très spécifiques de la personne qui le demande, je suis tentée par la réponse-type, celle que l’on fait pour ce schéma conjugal de manière globale. Ce qui n’a aucun sens. Alors, tandis que je m’entends dire « tu ne peux pas changer sa personnalité », je vois l’une de mes meilleures amies prête à se marier avec quelqu’un qui a profondément changé avant de s’engager définitivement avec elle. Et puis, lorsque, « bonne nouvelle » d’après Carla, j’apprends que tous vont retrouver l’amour quoiqu’il arrive après une rupture, j’ai envie de lui présenter ceux qui ne l’ont pas retrouvé.

Mauvaise nouvelle, jugera-t-elle ?

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L’injonction aux rêves #2 : du complexe de ceux qui s’accomplissent par les petits riens.

Le fantasme qui entoure le développement  personnel et les autres activités synonymes d’accomplissement de soi n’est pas gênant parce qu’il serait le symptôme d’une société individualiste. On peut déjà commencer par dire que ces activités sont majoritairement privées, et donc ne se pratiquent pas ou peu dans la sphère publique. On extériorise une partie de ces activités dans la sphère publique parce qu’on ne peut pas faire autrement. Courir chez soi sur un tapis de course, ça n’est pas ultra lol. On le fait donc dehors, souvent seul, sans nécessairement balancer le message suivant au reste du monde : JE SUIS UN INDIVIDUALISTE PARCE QUE JE COURS SEUL AVEC MES ECOUTEURS ET QUE JE DEVELOPPE MON CORPS PAR L’ACTIVITE PHYSIQUE AU LIEU DE M’OCCUPER DES MISEREUX.

Outre le développement personnel, peut-on cracher sur les personnes qui cherchent à devenir propriétaires d’un terrain, pour y mettre une maison, pour l’entourer d’une clôture, pour s’y « réfugier » lorsqu’elles n’ont plus rien à faire dans la sphère publique ?

Difficilement. Ou bien il faudrait revoir le fonctionnement de la vie, qui marche comme ça depuis, genre, hyper longtemps. Nous privatisons une partie de nos activités depuis belle lurette, parce qu’elles sont individuelles par nature, ou parce qu’elles n’ont pas lieu d’être dans la sphère publique (#FaireCaca), pour des raisons culturelles ou autres. Elles font partie de ce que nous appelons « développement personnel ».

Il paraît logique, dans le déroulement de nos petites bobines vitales, que nous mettions une partie de nos activités et de nos êtres ‘au service’ de la société une fois adultes, puisque nous y avons été formés dans ce but au cours de notre enfance / adolescence. Mais évidemment, les adultes ne sont pas totalement asservis à la société une fois qu’ils entretiennent une vie professionnelle qui permet de faire tourner le pays. Si nous naissons plus ou moins vierges, nous ne sommes pas définitivement « formés » lorsque nous sommes sortis de l’enseignement académique, du cercle familial etc. Dans la mesure où nous restons apprentis toute notre vie, nous nous « développons personnellement » jusqu’à la mort. Biologiquement, mais pas seulement, on l’aura compris.

Rien de bien alarmant dans le fait de continuer notre formation, et donc de nous développer personnellement, quoi. Rien de très individualiste, ou du moins, pas de manière répréhensible.

Le fantasme qui entoure le développement  personnel et les autres activités synonymes d’accomplissement de soi devient gênant lorsqu’il est une pression sociale.

Externalisés dans la sphère publique, le développement personnel et l’accomplissement de soi (j’aurais peut-être du les dissocier) sont passés à la moulinette à paillettes des médias et des marques. On ne devient un être accompli que si l’on plaque tout pour voyager très loin, que si l’on s’illustre dans une ou deux passions bien définies, que l’on développe un talent un peu exceptionnel – qu’il s’agisse de faire de la musique avec sa bouche sur Youtube, ou bien de faire des dessins avec du marc de café -, que si l’on a un caractère physique hors-du-commun.

Les promotions de l’exceptionnel et de l’incroyable régissent notre droit au rêve. Par conséquent, celui qui rêve de devenir propriétaire d’une petite maison en campagne pour se rapprocher de son travail – quel qu’il soit -, et d’une bonne tartine au beurre pour son petit déjeuner du lendemain n’est qu’un putain d’individualiste qui ne sait pas avoir de rêves. Comme si l’on pouvait juger sur des critères qualitatifs les rêves des autres. Comme si ne pas avoir de rêves, de passions, de spécialités, d’exceptionnalité en soi était anormal.

L‘anormalité, ce serait la normalité. Ceux qui n’ont pas nécessairement envie de faire de vagues deviennent les marginaux.

On leur fout des complexes s’ils venaient à se contenter de choses futiles et rêver de petits riens. Gare à eux s’ils ne savent pas quoi répondre à la question « quel serait ton rêve le plus fou ? », ou bien s’il n’est pas assez fou aux yeux du reste du monde.

(C’était la phrase de trop)

(Bisou)