Les Héros (malgré eux) du métro

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Trop badass. Mais gaffe au guano.

Il nous faut un nouvel angle d’attaque. Non c’est vrai, on va finir par nous penser « femmes victimes », à force. Ça nous arrive de l’être, mais pas que. Aussi, je raconterai l’anecdote qui m’est arrivée il y a quelque temps. 
Évidemment, la scène démarre dans un métro, vers minuit et demie. Je porte un jean, des baskets, je suis fatiguée, et je trimbale mon gros sac de sport. Je me sens bien, à l’aise dans mes fringues, peut-être même que je me sens protégée. Protégée de ne pas être affichée, exposée par des talons, à l’aise avec ce que je dégage, une fille pas désirable, juste là, comme tout le monde, peut-être une fille sportive, qu’on ne fait naturellement pas chier. Que nenni. 

Il entre. J’ai mes écouteurs. Il me parle, s’approche de mon visage. Je recule le buste, l’envoie un peu balader, ça ne l’arrête pas. Je ne comprends à peu près rien à ce qu’il me dit. Et il pose ses deux mains sur mes cuisses, et les fait remonter. Invasion. 

On s’en fout de ce mec. Il devait être complètement bourré. C’est un enfoiré. Un jour, il se prendra un coup de poing dans la tronche. S’il ne se l’est pas déjà pris. 

Non, ce qui m’intéresse, c’est la réaction de mon Batman anonyme. Lorsque Voldemort (ce sera son petit surnom, au frotteur de cuisses) s’est trop rapproché, j’ai senti des regards un peu tracassés se tourner vers nous. Je les ai sentis, mais ils ne m’ont pas rassurée. Un homme, quarantenaire, était debout juste à côté. Je l’ai vu s’approcher, histoire de suivre, voir si ça va trop loin, savoir s’il faut intervenir, ou pas encore. Batman ne s’est même pas posé la question. Dès que Voldemort (et là, projection mentale de Christian Bale et Volvi qui se font face et s’envoient des grappins chauve-souris et des éclairs verts) a posé ses mains, ses putains de mains, Batman s’est levé, l’a saisi par les épaules et a tenté de le raisonner. J’entendais presque rien. Voldemort, un peu nerveux, un peu trop bourré, a insisté, s’est débattu. Batman, un grand baraqué, l’a balancé sur le quai, une station avant la mienne. Il est sorti avec lui, l’a poussé encore un coup pour lui faire comprendre, et d’un coup, juste avant que les portes du métro ne se referment, Voldemort s’est dégagé de l’étreinte du Dark Knight 2.0 et s’est précipité vers la porte. 

Elle s’est refermée sous son nez. J’ai eu la trouille de ma vie. S’il était de nouveau rentré, Batman coincé sur le quai, j’aurais été mal. Dans le caca, quoi. Il a donné des coups sur la porte, et tandis que le métro allait redémarrer, je l’ai vu se jeter vers Batman. Et je me suis dit ; ce mec m’est parfaitement inconnu, il a pris le risque de me débarrasser d’un Voldemort et de s’isoler avec lui sur le quai. Et je me suis dit ; ce mec m’est parfaitement inconnu, il s’est peut-être mis dans le pétrin. 

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En gros, quoi. Dans la vraie vie ça ferait un peu plus pepsy, avec des étincelles, des flammes, toussa.

Les autres ont ri, lorsque Voldemort s’est jeté sur Batman, parce qu’il a poussé un cri en même temps. Je ne comprends pas pourquoi ils ont ri. Ça m’échappe, complètement. 

En sortant une station plus tard, le quarantenaire qui avait pris le soin de surveiller la situation m’a adressé quelques regards se voulant complices, peut-être compatissants. Il m’a dit, l’air entendu ; « je serais intervenu, sinon », et puis il est parti devant moi. 

Il est mignon, ce Robin. Mais c’est toujours pour Batman qu’on craque. 

Nous, les femmes, filles, jeunes femmes, mesdemoiselles, dames, nous ne sommes pas des victimes. Pas au sens substantivé du terme, celui qui nous colle une étiquette, qui nous assigne à un rôle social. Nous ne sommes pas faites pour être sauvées. Nous sommes victimes, au sens adjectival et temporaire du terme ; ici, victime d’un connard, et sauvée par un altruiste. Un état d’une trentaine de secondes, sur la ligne 8 du métro, imposé par un seul mec, un état que je refuse de m’infliger plus longtemps que pendant ces trente secondes agressives. Mon Batman n’est pas un héros, le pauvre, vous imaginez la pression ? Se lever un matin, et se voir assigné le rôle de sauver les demoiselles en détresse ? J’aurais envie de répondre ; c’est bien gentil, mes cocos, mais j’ai déjà mon bordel à régler. Batman m’a sauvée, ce soir là, et je ne pourrais jamais lui dire merci. J’espère qu’il a senti tout l’honneur qu’il mérite. 

Nous ne sommes pas des victimes, et les hommes comme notre Batman ne sont pas des héros. Nous sommes des femmes qui, un jour, une fois, peut-être plusieurs, subissons des actes insupportables par une poignée de Voldemorts nocifs. Et nous ne devrions pas avoir besoin de héros. Si on raisonne de cette façon, alors on accepte une certaine fatalité de la situation. Je refuse cette situation. Je ne veux pas qu’un homme se mette en danger parce qu’un autre est un connard. Et s’il est impossible à l’heure actuelle de considérer les choses comme ça, alors nos héros sont la police, la justice, et le témoignage. Ils le sont depuis un certain temps. Et je ne me sens toujours pas en sécurité dans le métro, à minuit et demie.

Alors on fait quoi, on investit dans les spots géants en forme de chauve-souris en cas de pépin ? Et si on nous répond pas ? Et si tout le monde avait le droit d’avoir peur ?

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