Le fantasme qui entoure le développement personnel et les autres activités synonymes d’accomplissement de soi n’est pas gênant parce qu’il serait le symptôme d’une société individualiste. On peut déjà commencer par dire que ces activités sont majoritairement privées, et donc ne se pratiquent pas ou peu dans la sphère publique. On extériorise une partie de ces activités dans la sphère publique parce qu’on ne peut pas faire autrement. Courir chez soi sur un tapis de course, ça n’est pas ultra lol. On le fait donc dehors, souvent seul, sans nécessairement balancer le message suivant au reste du monde : JE SUIS UN INDIVIDUALISTE PARCE QUE JE COURS SEUL AVEC MES ECOUTEURS ET QUE JE DEVELOPPE MON CORPS PAR L’ACTIVITE PHYSIQUE AU LIEU DE M’OCCUPER DES MISEREUX.
Outre le développement personnel, peut-on cracher sur les personnes qui cherchent à devenir propriétaires d’un terrain, pour y mettre une maison, pour l’entourer d’une clôture, pour s’y « réfugier » lorsqu’elles n’ont plus rien à faire dans la sphère publique ?
Difficilement. Ou bien il faudrait revoir le fonctionnement de la vie, qui marche comme ça depuis, genre, hyper longtemps. Nous privatisons une partie de nos activités depuis belle lurette, parce qu’elles sont individuelles par nature, ou parce qu’elles n’ont pas lieu d’être dans la sphère publique (#FaireCaca), pour des raisons culturelles ou autres. Elles font partie de ce que nous appelons « développement personnel ».
Il paraît logique, dans le déroulement de nos petites bobines vitales, que nous mettions une partie de nos activités et de nos êtres ‘au service’ de la société une fois adultes, puisque nous y avons été formés dans ce but au cours de notre enfance / adolescence. Mais évidemment, les adultes ne sont pas totalement asservis à la société une fois qu’ils entretiennent une vie professionnelle qui permet de faire tourner le pays. Si nous naissons plus ou moins vierges, nous ne sommes pas définitivement « formés » lorsque nous sommes sortis de l’enseignement académique, du cercle familial etc. Dans la mesure où nous restons apprentis toute notre vie, nous nous « développons personnellement » jusqu’à la mort. Biologiquement, mais pas seulement, on l’aura compris.
Rien de bien alarmant dans le fait de continuer notre formation, et donc de nous développer personnellement, quoi. Rien de très individualiste, ou du moins, pas de manière répréhensible.
Le fantasme qui entoure le développement personnel et les autres activités synonymes d’accomplissement de soi devient gênant lorsqu’il est une pression sociale.
Externalisés dans la sphère publique, le développement personnel et l’accomplissement de soi (j’aurais peut-être du les dissocier) sont passés à la moulinette à paillettes des médias et des marques. On ne devient un être accompli que si l’on plaque tout pour voyager très loin, que si l’on s’illustre dans une ou deux passions bien définies, que l’on développe un talent un peu exceptionnel – qu’il s’agisse de faire de la musique avec sa bouche sur Youtube, ou bien de faire des dessins avec du marc de café -, que si l’on a un caractère physique hors-du-commun.
Les promotions de l’exceptionnel et de l’incroyable régissent notre droit au rêve. Par conséquent, celui qui rêve de devenir propriétaire d’une petite maison en campagne pour se rapprocher de son travail – quel qu’il soit -, et d’une bonne tartine au beurre pour son petit déjeuner du lendemain n’est qu’un putain d’individualiste qui ne sait pas avoir de rêves. Comme si l’on pouvait juger sur des critères qualitatifs les rêves des autres. Comme si ne pas avoir de rêves, de passions, de spécialités, d’exceptionnalité en soi était anormal.
L‘anormalité, ce serait la normalité. Ceux qui n’ont pas nécessairement envie de faire de vagues deviennent les marginaux.
On leur fout des complexes s’ils venaient à se contenter de choses futiles et rêver de petits riens. Gare à eux s’ils ne savent pas quoi répondre à la question « quel serait ton rêve le plus fou ? », ou bien s’il n’est pas assez fou aux yeux du reste du monde.
(C’était la phrase de trop)
(Bisou)